« Ou est il ? » jura il tout bas.
« Comment ai-je pu le perdre ? » continua t il, la colère déformant ses traits.
Les soldats de l’Armée de la Libération se séparaient en tout sens, seul ou par petits groupes maintenant que le briefing pour le plan d’évacuation des réfugiés était enfin fini. Seuls quelques mètres l’avaient séparé du capitaine qui éveillait tant de soupçons. Les poings serrés, il ragea contre lui-même.
Lors de la réunion, il avait entre aperçu un foulard sous le brassard d’un capitaine alors qu’il pliait les bras en écoutant le général faire son exposé. La tête, sûrement volontairement en retrait dans la pénombre de la tente, il avait écouté l’oreille alerte à tous les détails, avait appris toutes les stratégies qui seraient mises en œuvre pour cette exode massive, avait compris toutes les ruses qui seraient déployées pour réaliser notre objectif : atteindre la Kryte. Tout ce qu’il avait pu voir, c’était son menton. Un menton franc, carré, où naissait le début d’une barbe de trois jours, l’épiderme noirci par les poils de la couleur sombre de son crin. Malheureusement pour notre héro, les capitaines étaient nombreux et les factions comptaient dans leurs rangs au moins deux de ces officiers, tous moins portés sur la discipline de la toilette depuis qu’ils étaient arrivés dans ce climat rigoureux.
Par conséquent, il élimina d’office les capitaines aux cheveux trop clairs pour ne suivre que les espions potentiels car le foulard ressemblait que trop à ceux de la garde du Blanc Manteau. N’ayant pas la stature de Kaeru, il lui était difficile d’accuser qui que ce soit sans se mettre a dos tout le monde. La guerrière, avec sa réputation, aurait pu tous les rallier à son intuition. « Elle aura même pas besoin de s’excuser si elle se trompe en plus !» pensa t il. Une tournée de bières et l’affaire aura été vite oubliée.
Alors, arpentant les rues, inspectant les toiles de tentes aux alentours, interrogeant les soldats, Beren continua son chemin, s’insurgeant d’avoir été aussi naïf pour vouloir le confronter dehors une fois le meeting fini. Finalement, se réputation aura fini par le perdre, lui qui narguait ses opposants lors d’un affrontement, lui qui se moquait de ses adversaires lors des duels, lui qui affichait sans vergogne sa connaissance de l’Art du combat aux yeux de tous ses ennemis lors des joutes, lui qui insultait les armées adverses afin de leur montrer qu’il ne craignait personne, lui , au tempérament si présomptueux et fier, qui n’avait pas au final gagné en crédibilité. Quand il avait appris son art à l’école d’escrime d’Ascalon, il montrait déjà ce caractère de supériorité vis à vis des autres élèves, jamais insultant mais toujours insatisfait du peu que les professeurs avaient à lui apprendre, il s’était forgé sa réputation de génie de guerre. Le revers de la médaille montrait enfin ses dents, il ne pouvait pas se servir de ses antécédents si durement acquis. Réfrénant ses envies de meurtres et n’ayant pas d’autres indices, il aboutit alors au bureau du courrier, il se devait maintenant de s’assurer que Kaeru possède ses informations et prenne les mesures adéquates. Il se promit d’être, dans le futur , plus vigilant. Son langage était fait de sang et non de discours alambiqué.
A une dizaine de mètres derrière lui, Régis Sombredouleur jubila, il marcha tranquillement derrière Beren depuis sa sortie de la tente, faisant bien attention à ne pas trop paraître nonchalant mais comme une personne en mission. Il s’était bien douté de quelque chose lorsqu’il avait repéré les étranges coups d’œil de celui ci envers sa personne lors du briefing. Depuis, il était sorti de la tente, en avait rapidement fait le tour et avait commencé sa filature après avoir bien pris soin de jeter son foulard au fond du puits, lesté d’une bonne pierre. Tout se déroula comme il l’avait prédit, son entrée dans la ville s’était déroulée sans incidents grâce à l’armure qu’il portait, il avait d’abord été surpris du nombre de capitaines présents dans la place mais il s’était vite ressaisis, avait inventé un nom couramment usité dans les périodes de troubles, et avait rejoint les rangs pour atteindre la salle de réunion. Il ne tarderait pas à se joindre à un groupe sur le départ pour s’échapper de la ville et faire son rapport. Il pourrait de nouveau revêtir des habits plus légers, plus confortables et moins odorants. Ne doutant plus de sa bonne fortune, il se dirigea même vers la taverne et commanda une bière.